« A l’approche de l’élection de décembre 2002, c’est mon mari qui a reçu le fax concernant l’appel à candidature et il l’a renvoyé au syndicat patronal en inscrivant mon nom sur le formulaire puisque je suis la gérante de Nice Looking, notre société. Il a pensé que cela pouvait être intéressant pour l’entreprise que je sois plongée au cœur du droit du travail. »

Le mari de Yolène Beauregard ne croyait pas si bien faire. Exerçant depuis janvier 2003  dans la section « industrie » au conseil de prud’hommes de la Martinique, elle en assure la présidence depuis 2010 en alternance avec son homologue de la section « salariés. » Ce fauteuil, elle le doit à son expérience de plusieurs années en qualité de conseillère et également à la confiance que lui témoigne le collègue employeur.

 « Le code du travail est au cœur de la procédure, nous dit-elle. J’ai la sensation d’apprendre au jour le jour face aux différentes situations puisqu’aucun dossier ne se ressemble. Quand on délibère, on s’appuie sur un article du code du travail, la rédaction qui suit permettant de confirmer en droit ce que l’on a approuvé lors de la délibération. »

Divisé en cinq sections (agriculture, industrie, encadrement, commerce et activités diverses), le conseil de prud’hommes rassemble soixante-deux juges non professionnels élus à parité entre représentants du patronat et représentants des salariés. Il règle les litiges individuels qui surviennent à l’occasion de l’exécution du contrat de travail entre salariés ou apprentis et employeurs, tels que les conflits liés à la rupture du contrat de travail, aux congés payés, au non paiement de salaires ou de primes, au non respect d’une clause de non-concurrence etc.

« Quand un dossier arrive jusqu’à nous, malheureusement le salarié et l’employeur sont déjà dans le conflit, regrette la présidente Beauregard. C’est aussi pour cette raison que les employeurs se doivent d’être très attentifs quand ils rompent un contrat de travail. Il faut savoir qu’une procédure devant le conseil de prud’hommes peut-être très longue, de l’ordre de vingt mois en moyenne contre douze ou treize mois en moyenne nationale. Au 1er janvier dernier par exemple, près de 2300 dossiers étaient encore en attente de traitement, bien que mille quatre cent d’entre eux aient été refermés en 2010. Mieux vaut donc essayer de s’épargner une procédure usante pour les deux parties. »

Eviter le conflit tant qu’il est encore temps, tel est le véritable challenge pour cette femme de droit. Et tant mieux si le fait d’être une femme peut aider à apaiser certaines situations. « En début de procédure, lors de l’audience de conciliation, le fait d’être une femme peut parfois favoriser la conciliation, souligne-t-elle. Dans ce cas, je suis satisfaite de pouvoir refermer un dossier en deux ou trois mois, sachant que certains dossiers peuvent durer jusqu’à cinq ans. Vivre un conflit pendant plusieurs années, ce n’est agréable pour personne. »

Par ailleurs, Yolène Beauregard est avant tout chef d’entreprise de la société Nice Looking (ndlr : traduction littérale de « Beauregard » en anglais) qu’elle a créée il y a seize ans avec son mari. Spécialisée dans la confection et la vente de vêtements de travail et d’articles d’ameublement pour les hôtels et les collectivités, Nice Looking emploie six salariés avec un seul mot d’ordre : tenir dans la durée.

Ainsi, ce sont cinq ou six matinées par mois que Yolène Beauregard passe dans son bureau au tribunal de Fort-de-France, le reste de son temps étant dévolu à sa société. « L’organisation, c’est la clé de la réussite pour Nice Looking comme pour les fonctions que j’occupe au tribunal de prud’hommes. C’est même devenu un principe de vie que je répète toujours à mes stagiaires : « soyez organisés ! » même si je sais très bien que certaines habitudes sont tenaces. Ce n’est pas facile à apprendre mais il y a des méthodes pour s’organiser. Il faut les utiliser. »

Certes, par sa nature bénévole, la fonction de conseiller Prud’homme demande un véritable investissement personnel, mais elle apporte la satisfaction d’être au service de la paix sociale dans l’entreprise et au service du droit. La présidente Beauregard encourage donc tous les chefs d’entreprises et leurs salariés à participer aux différents scrutins… et pourquoi pas se porter candidats pour exercer dans cette instance ?