Jack Sainsily : La carte du territoire

Architecte diplômé par le gouvernement et urbaniste opérationnel qualifié, Jack Sainsily dirige depuis 2006 le Conseil Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE), une structure référente du territoire pour la promotion de la qualité de l’architecture, de l’urbanisme, de l’environnement, du patrimoine et des paysages. Pour Jarrymag, il revient sur les enjeux d’un aménagement durable de notre territoire.

 Quelles sont les missions du CAUE ?

Le but du CAUE est de permettre l’émergence de la qualité architecturale. Depuis trente ans, il exerce une mission de conseil ; une mission de sensibilisation du grand public avec une trentaine de points de contact en commune en plus du salon du développement durable, le salon de l’habitat, les trois jours de l’immobilier ou lors de l’organisation de journées portes ouvertes etc. ; une mission d’accompagnement des collectivités et enfin, une mission de formation des professionnels du cadre de vie. Le CAUE a aussi été pensé dans le but de favoriser la déclinaison, voire l’adaptation, des dispositifs nationaux à l’échelle locale.

Et concrètement, quelles missions avez-vous menées depuis 2006 ?

Pour commencer, nous avons mis en place un nouveau projet de gouvernance qui se repose sur trois piliers : la reconquête des missions fondatrices du CAUE, la reconquête du territoire et la restructuration de l’équipe qui compte aujourd’hui sept collaborateurs permanents et s’appuie sur les architectes et urbanistes locaux. Nous avons aussi constitué une nouvelle assemblée générale qui compte aujourd’hui près d’une trentaine de membres, dont environ une vingtaine de collectivités locales ou EPCI.

Quel est le rôle du CAUE dans l’accompagnement des collectivités ?

Nous aidons les communes à porter leur projet. Il faut noter qu’aujourd’hui il n’existe pas un seul PLU (Plan Local d’Urbanisme, ndlr) en application en Guadeloupe. Seules les communes des Abymes et de Baie Mahaut ont arrêté leurs PLU, d’autres communes peinent à les faire sortir. Il faut reconnaître que les communes sont livrées à elles-mêmes, et cet outil qui remplace les POS (Plan d’Occupation des Sols, ndlr) est souvent très complexe à mettre en place.

Baie-Mahault, par exemple, est la deuxième commune à avoir arrêté son PLU, actuellement en attente d’une enquête publique. Mais c’est un long processus d’accompagnement qui a pris plus de cinq ans. Quant aux autres communes, elles ont encore beaucoup de travail. Cependant, les bureaux d’études locaux se sont familiarisés aux contraintes et iront dorénavant plus vite.

Quid de l’état de l’urbanisme en Guadeloupe ?

Beaucoup reste encore à faire. Il s’agit d’un travail en éternel renouvellement, les territoires étant en perpétuelle construction, qu’il s’agisse de l’économie, de l’appropriation de notre histoire ou de l’urbanisme.

Historiquement, nos villes se sont bâties le long des côtes, ce qui correspondait à une certaine logique liée aux modes de déplacements et à la morphologie du territoire. Ensuite sont intervenues les plantations, puis les activités d’import/export qui ont induit des transformations du territoire. Jarry, par exemple, s’est développé sans qu’une réflexion concertée ne soit menée jusqu’à l’opération Jarry 2000. Aujourd’hui, la quasi-totalité des centres-bourgs subissent une désertification qui s’explique notamment par des problèmes économiques et aussi par une certaine facilité : il est en effet plus facile de raser un champ pour y construire des nouveaux “quartiers” plutôt que de réhabiliter l’existant. De plus, toutes les tentatives nationales, déclinées au plan local dans nos anciens bourgs ne se sont pas encore traduites dans les faits, pour des raisons politiques effectives. Il y a un grand décalage entre les problématiques nationales et nos problématiques locales. Une réelle analyse s’impose.

La création en Guadeloupe de quatre communautés de communes peut-elle favoriser une vision moins étroite de l’aménagement du territoire ?

La logique qui prévaut en France quant à l’intercommunalité ne prévaut pas ici, chaque commune “se suffisant” à elle-même. Et le risque est d’assister à une structuration de notre territoire qui ne lui correspond pas.

Je crois qu’il va falloir se poser les vraies questions autrement qu’en définissant des périmètres. Un débat duquel ont été écartés les professionnels de l’aménagement à l’origine de la mise en œuvre des quatre communautés de communes ne peut aboutir à une bonne solution. Par exemple, si deux communes basent leur activité sur le tourisme, cela ne veut pas dire qu’elles s’opposent ni qu’elles deviennent automatiquement complémentaires, d’autres facteurs sont à prendre en considération.

Il ne faut pas prendre la question à l’envers et je crois que la création de ces communautés de communes pose un problème de gouvernance évident, qui surgira de toute manière.

L’urbanisme n’est-il pas un sujet trop sérieux pour être laissé dans les mains des politiques ?

L’aménagement du territoire, c’est l’affaire de tous. Cela commence dans son quartier, dans sa ville, dans sa région et enfin, dans son environnement international. Plusieurs manettes doivent être actionnées pour faire fonctionner l’aménagement du territoire. Et la société civile doit être impliquée. Cependant c’est le politique qui en a la gestion.

Que préconisez-vous ?

Si je devais alerter les uns et les autres, je leur dirais avant tout de fonder toutes les actions, les tentatives, les projets, sur un vrai diagnostic partagé. Aujourd’hui, on met en place des dispositifs nouveaux sans avoir fait le bilan du dispositif précédent au préalable. Les exemples de la RUPAP (Renouvellement Urbain de Pointe-à-Pitre, ndlr) ou le RUSAB (Renouvellement Urbain des Abîmes, ndlr) témoignent combien les démarches ne sont pas suffisamment fondées sur le diagnostic qui prendrait en compte la globalité du territoire. Ces dispositifs transposés ici continuent de renforcer le morcellement de ce territoire.

 

Propos recueillis par Mathieu Carbasse